Faculty Spotlight: Christelle Taraud, Columbia in Paris

March 21, 2022

Christelle Taraud

Enseignante, Columbia in Paris program

Membre, Centre d'Histoire du XIXe siècle (Paris I et IV)


Christelle Taraud enseigne dans les programmes parisiens de Columbia University, de New-York University et de CUPA. Depuis octobre 2008, elle est aussi membre du Centre d'histoire du XIXe siècle (Paris 1/Sorbonne Université). Elle est spécialiste de l'histoire des femmes, du genre et des sexualités en contexte colonial, tout particulièrement au Maghreb. À l'occasion du mois de l'histoire des femmes, nous avons parlé avec Christelle de son travail et de son inspiration.

Pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

J’ai soutenu mon PHD, en histoire contemporaine du Maghreb, en 2002. Celui-ci portait sur un sujet dont on parlait fort peu à l’époque - la prostitution coloniale - et a donné lieu à mon premier livre, publié dans la foulée, sous le titre La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc, 1830-1962. C’est aussi cette même année que j’ai commencé à enseigner dans le programme parisien de l’Université de Columbia, ce qui veut dire que je suis à Reid Hall depuis 20 ans déjà. En tant qu’enseignante-chercheuse, j’ai durant cette période beaucoup écrit. Le dernier ouvrage en cours, fruit d’un travail collectif de plus de trois ans qui réunit une centaine d’autrices et d’auteurs, va sortir en septembre 2022, aux Editions La Découverte, et s’intitule Féminicides : Une Histoire Mondiale.


Quelles sont les femmes qui vous ont inspirée ?

Parmi les femmes publiques, celle qui compte sans nul doute le plus pour moi, hier comme aujourd’hui, aussi bien dans mon approche de la vie que dans ma vision politique est Louise Michel, la grande communarde de la Révolution de 1871. Toute l’existence de Louise Michel a été tournée vers la construction d’un monde plus juste où la liberté, l’égalité et la solidarité ne seraient pas des vains mots. C’est ce qui explique son engagement auprès des Kanaques lors de la grande révolte de 1878 contre la colonisation mais aussi son amitié renouvelée pour les Kabyles du Pacifique, les déportés (comme elle) de la rébellion menée par le bachaga Mokrani, en 1871, dans l’Algérie française. Mais j’ai aussi une passion particulière pour l’écrivaine-voyageuse Isabelle Eberhardt dont le profil atypique et la vie singulière ont toujours été un exemple pour moi. D’un point de vue privé, la personne qui a été le plus inspirante dans ma vie est incontestablement ma mère. J’ai écrit il y a bien longtemps que c’est elle qui m’avait appris à me tenir debout, puis à le rester envers et contre tout… ce qui n’est pas rien pour une femme…


Quelles recherches ont été menées au Centre d'histoire du XIXe siècle ? 

Le Centre d’histoire du XIXe siècle n’est pas spécifiquement dédié aux études sur les femmes et le genre mais celles-ci y ont toujours été les bienvenues. De mon côté, j’y ai animé pendant plusieurs années, avec l’historienne Sylvie Chaperon, un séminaire de recherche consacré à l’histoire contemporaine des sexualités. C’est en effet au croisement de mes deux spécialités - histoire coloniale de la France au XIXe siècle et au XXe siècle et histoire des femmes, du genre et des sexualités - que se situe mon travail de recherche au sein du Centre. Ce travail est, on s’en doute, un élément fondamental des cours que je propose à Columbia à Paris en particulier celui consacré à l’histoire de la prostitution et du travail du sexe dont le titre est « Economie du sexe, XIXe-XXe siècle ». De même, mon second cours, « Révolutions, guerres, génocides. Violences de femmes, violences contre les femmes, XIXe-XXe siècle », fait-il écho au travail que je mène, depuis plusieurs années maintenant, sur le problème mondial des féminicides. 


Dans quelle mesure le monde universitaire doit-il encore évoluer en matière d'égalité des sexes, dans un sens à la fois institutionnel et curriculaire ?

La question est complexe car il ne s’agit pas seulement d’évolution mais de changement de paradigme. En son temps, Monique Wittig nous avait déjà alerté sur le fait que la question n’était pas uniquement que les femmes investissent massivement les universités, y compris dans les disciplines définies comme « masculines », qu’elles se retrouvent aux postes de pouvoir et de décision, qu’elles reçoivent, à compétences égales, les mêmes salaires et fassent les mêmes carrières, que leur présence soit, en somme, aussi naturelle que légitime, pour que le monde universitaire soit égalitaire. Tout ceci est évidemment essentiel mais ne constitue que la partie immergée de l’iceberg car il faut aussi questionner les universités - les institutions, les disciplines, les penseurs, les concepts, les langues, les langages… - comme le produit historique d’une domination systémique. Le savoir - et nous savons que le savoir c’est du pouvoir -  a été accaparé pendant des siècles par les hommes qui en ont fait une arme de leur domination. Il s’agit donc ici de renouveler, en profondeur, et les sciences elles-mêmes et les récits (fondateurs, nationaux, globaux…) qu’elles proposent. Faire une nouvelle histoire de l’humanité où les femmes, qui en constituent tout de même la moitié, aurait toute leur place. Comme le souligne, par exemple, l’écrivaine Alice Zeniter dans son dernier livre, Je suis une fille sans histoire…


Avec le recul, qu'auriez-vous aimé savoir lorsque vous avez commencé à travailler ?

Rien d’autre que ce que je sais maintenant mais que je savais déjà, intuitivement, lorsque j’ai commencé à travailler sur la question de la prostitution coloniale dans les années 1990. Que ce serait difficile, bien sûr, mais aussi excitant, passionnant, dérangeant. Qu’il faudrait être là où on ne m’attend pas, au prise avec les « mauvais objets », à l’écoute des sans-voix non pour parler à leur place mais pour rendre, au plus près de leurs vérités singulières, la réalité de leurs vies. C’est une chose qui m’animait alors et à laquelle je n’ai jamais renoncée depuis. 


Avez-vous des recommandations des livres (3 ou 4) dans le cadre de Women's History Month ?

Silvia Federici, Une guerre mondiale contre les femmes. Des chasses aux sorcières au féminicide, Paris, La Fabrique, 2021.
Christelle Taraud & al, Prostitution coloniale et post-coloniale, Paris, La colonie & La Découverte, 2020.
Monique Wittig, La pensée straight, Paris, Editions Amsterdam, 2018.
Alice Zeniter, Je suis une fille sans histoire, Paris, L’Arche, 2021.